Contribution à la réforme du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante
Depuis 1999, un dispositif spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (CAATA) a été créé par les autorités françaises suite à la crise sanitaire résultant de l'exposition des travailleurs à l'amiante. Dans le cadre de la réforme de ce dispositif, l'Anses a été saisie pour réaliser une synthèse des connaissances disponibles sur les expositions professionnelles à l'amiante et notamment identifier les métiers conduisant à une forte exposition.
Les autorités publiques françaises ont créé en 1999 un dispositif spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (CAATA) suite à la crise sanitaire résultant de l'exposition des travailleurs à l'amiante. Ce dispositif s'applique, d'une part, à titre individuel, aux salariés atteints de maladies professionnelles liées à l'amiante et, d'autre part, aux salariés relevant d'établissements où s'exercent les activités professionnelles pour lesquelles le législateur a considéré que le risque d'exposition à l'amiante était le plus élevé. Dans ce dernier cas, l'application concrète de ce dispositif soulève des difficultés importantes dans la mesure où il s'agit d'un dispositif collectif ouvrant des droits à tous les salariés des établissements inscrits sur des listes interministérielles. De ce fait, il est socialement peu équitable puisqu'il peut bénéficier à des salariés dont le degré d'exposition peut être faible voire nul, alors que des travailleurs qui ont été fortement exposés n'en bénéficient pas car leur exposition est imputable à une activité au sein d'un établissement non inscrit.
Une des pistes de réforme de ce dispositif envisagée en 2009 par les autorités consistait à modifier le champ d'application du dispositif CAATA, en le faisant reposer sur le croisement d'une liste d'établissements dans lesquels avaient été exercées des activités particulièrement exposantes avec une liste de métiers particulièrement exposés.
Le travail de l’Agence
Dans le cadre de la réforme de ce dispositif, l'Agence a été saisie en mai 2009 pour réaliser une synthèse des connaissances scientifiques et techniques sur les expositions professionnelles à l'amiante. Il s'agissait in fine d'identifier les métiers conduisant à une forte exposition à l'amiante ainsi que ceux pour lesquels l'exposition est à l'origine du développement de maladies professionnelles.
Pour ce faire, l'Agence a examiné la littérature scientifique disponible, nationale et internationale, mais également les principales bases de données existantes dans ce domaine. Une enquête a également été menée auprès de six pays européens (Allemagne, Espagne, Finlande,Italie, Norvège, Royaume-Uni ) afin de recueillir des informations sur la règlementation, les modalités du suivi médical en vigueur, les métiers et secteurs d'activités exposant ainsi que l'articulation de leurs dispositifs d'indemnisation et de compensation des travailleurs exposés à l'amiante.
Sur la base de toutes les données et des travaux d'organismes d'expertise ou de recherche disponibles, l'Anses a rédigé un rapport, soumis à la relecture critique d'experts indépendants, reconnus pour leurs compétences en vue d'évaluer les métiers exposant à l'amiante.
Détails du travail de l’Agence
Concernant la collecte des données permettant de rechercher les métiers conduisant à une forte exposition à l’amiante en France, l’étude ARDCO (Asbestos-related diseases cohort) ainsi que les deux programmes nationaux de surveillance post-professionnelle à l’amiante SPIRALE et ESPRI ont été retenus dans la mesure où ils utilisent une classification de l’exposition à l’amiante après une évaluation individualisée, conforme aux critères retenus lors de la conférence de consensus de 1999.
Le fonctionnement et l’intérêt des bases de données métrologiques Evalutil (Invs) et FIBREX (Inrs), ont été également examinés.
La recherche des métiers à l’origine du développement de pathologies professionnelles s’est appuyée sur les données du programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) et les données sur la reconnaissance de maladies professionnelles provenant de la sécurité sociale. L’Anses a également pu bénéficier des premiers résultats d’ArDCo visant à associer certains métiers à un sur-risque de survenue de plaques pleurales.
Bien que les bases de données disponibles aient été construites selon des protocoles bien distincts, il ressort de la confrontation de l’ensemble des données un faisceau cohérent et convergent mettant en relief une liste de professions et de secteurs d’activité pouvant être considérés comme les plus exposants à l’amiante.
Conclusions
Les niveaux d’exposition à l’amiante et leur relation apparente avec des pathologies telles que les plaques pleurales et les mésothéliomes classent certains métiers comme manifestement exposant à l’amiante (tôliers-chaudronniers, soudeurs et oxycoupeurs, etc.). Pour d’autres professions plus « générales » (électriciens, tuyauteurs, etc.), il est nécessaire d’approfondir l’évaluation afin de prendre en compte le secteur d’activité. Enfin, pour certains cas particuliers de métiers exposés plus ponctuellement à des niveaux importants de concentration en fibres d’amiante, l’appréciation de la réalité, de la fréquence et des niveaux de l’exposition nécessite une approche individuelle.
L’enquête internationale européenne menée dans le cadre de ce rapport a montré, de manière qualitative, que les secteurs d’activités et les métiers exposants diffèrent peu de ce que l’on peut observer à partir des données françaises. Cette enquête a, de plus, permis de procéder à un état des lieux des pratiques de chaque pays en matière de pratiques d’indemnisation et de compensation des travailleurs victimes de l’amiante, et de situer le système français de reconnaissance des pathologies liées à l’amiante au regard de ses voisins européens. Enfin, une attention toute particulière a été donnée à l’expérience italienne de mise en place d’un dispositif relatif aux avantages retraite en faveur des travailleurs exposés à l’amiante, seul système comparable au FCAATA en Europe.
L’expertise de l’Anses a permis de démontrer qu’en 2009, aucune base de données ne permet de dresser de façon univoque une liste exhaustive des métiers les plus exposants applicable à l’ensemble des situations. Chaque base de données possède ses propres spécificités et ses limites. En revanche, l’étude de ces bases de données a permis d’extraire plusieurs problématiques majeures qu’il est important de considérer dans la recherche d’un système de compensation équitable :
- spécificité des métiers : certains métiers non spécifiques présentent une prévalence d’exposition à l’amiante très variable en fonction du secteur d’activité dans lequel ils ont été exercés (manœuvres, manutentionnaires, électricien,…). Dans le cas où l’enquête ne le précise pas, il est nécessaire d’approfondir l’évaluation plus avant afin de renseigner le secteur d’activité dans lequel le métier a été exercé ;
- absence de certains secteurs d’activité : l’ensemble des bases de données présentées dans le rapport ne tiennent pas compte de l’ensemble des situations professionnelles existantes. A titre d’exemple, les métiers de l’administration publique qui auraient pu conduire à une exposition, qu’elle soit directe ou non, ne sont pas considérés (ouvriers des services généraux, par ex.) ;
- l’absence de prise en compte de certains métiers : l’ensemble des métiers ayant pu entraîner une forte exposition sur une courte période de temps n’apparait pas forcément dans toutes les études épidémiologiques, soit pour des raisons d’échantillonnages propres à l’étude, soit parce que celles-ci ne tiennent compte (biais de mémorisation) que des métiers exercés sur de longues périodes ;
- période d’activité durant laquelle a été exercée l’activité : l’interdiction de l’amiante en 1996 a eu un impact à la fois sur les niveaux d’exposition aux fibres d’amiante, les catégories de métiers et les secteurs exposés. On peut observer que la diminution de l’exposition à l’amiante n’a pas été la même selon le secteur ou la profession exercée, et que certaines activités, notamment dans les secteurs du démantèlement et de la démolition, ont été davantage confrontées à des situations d’exposition à l’amiante après 1996 ;
- cas particulier des métiers du bâtiment : le rapport montre clairement une exposition des métiers du secteur du bâtiment et des travaux publics, avec des niveaux hétérogènes s’expliquant par les protocoles des études qui y font référence. En outre, le programme national de surveillance du mésothéliome indique un risque important de développement du mésothéliome pleural dans les métiers du bâtiment ;
- difficultés de reconstitution des situations exposantes au cours de la carrière professionnelle : ces difficultés concernent les travailleurs qui, pour des raisons diverses, ont été confrontés à des situations ayant pu entraîner une exposition suffisante pour qu’ils contractent une pathologie de l’amiante alors que le métier qu’ils exerçaient ne compte pas nécessairement parmi les professions exposantes à l’amiante. Ce dernier point démontre qu'une analyse fouillée de la vie professionnelle du salarié en y intégrant les tâches exécutées permet d'être plus précis sur la caractérisation des expositions ;
- cas de l’exercice de plusieurs métiers exposants : certaines personnes ont exercé plusieurs professions exposées. En général, il est dans ce cas difficile voire impossible de rattacher l'exposition à l'amiante à un métier particulier, compte tenu du temps de latence de certaines pathologies.
Les éléments de ce rapport montrent également la nécessité de faciliter l’accès au suivi post-professionnel en France aux personnes ayant été exposées professionnellement à l’amiante.