Fabriquer des fromages pour étudier les risques sanitaires
Pour étudier les risques de transmission d’organismes pathogènes via la consommation de fromages, plusieurs équipes de l’Anses vont en fabriquer en laboratoire. Une tâche rendue complexe par les précautions nécessaires pour éviter toute contamination extérieure par les microorganismes étudiés.
Ce n’est pas par intérêt gastronomique que des scientifiques de l’Anses ont appris à fabriquer du fromage et prévoient de le faire dans les laboratoires, mais bien pour les besoins de leurs recherches : deux projets portant sur les risques de transmission de microorganismes pathogènes de l’animal à l’être humain via la consommation de fromages ont été initiés ces derniers mois.
TBEV : comprendre les différences entre fromage de chèvre et de vache
Un projet débuté en septembre 2022 est consacré au virus de l’encéphalite à tiques (TBEV). Quarante-trois personnes ont été contaminées dans l’Ain en 2020 par ce virus après avoir mangé du fromage de chèvre au lait cru. Il s’agissait des premiers cas de transmission de ce virus en France par l’alimentation. « Tous les animaux peuvent être porteurs du TBEV et l’excréter dans leur lait mais jusqu’à présent la majorité des contaminations signalées suite à la consommation de fromages concernent des fromages de chèvre, nous voulons comprendre pourquoi. », explique Sandrine Lacour, chargée de projets au sein de l’unité mixte de recherche Virologie du Laboratoire de santé animale de l’Anses. La scientifique envisage plusieurs hypothèses. La première est que ces différences viennent des conditions de fabrication : certains fromages au lait de vache, par exemple, peuvent inclure une phase de phase de chauffage dans leur procédé de fabrication, ce qui pourrait empêcher la survie du virus. Le pH, l’humidité ou la teneur en sel peuvent aussi varier et influer sur la persistance du virus. La scientifique va donc tester l’effet des conditions de préparation. « Si en utilisant un même procédé de fabrication on observe toujours des différences entre les fromages de chèvre, de vache et de brebis, cela voudra dire que cela vient de la composition du lait. », prévoit-t-elle. En effet, les laits de ces différentes espèces n’ont pas les mêmes teneurs en matière grasse, en protéines ou en vitamines. De plus, des cellules particulières pourraient être présentes dans le lait de chèvre et absentes dans celui des autres animaux, ce qui favoriserait la survie du virus.
Brucella melitensis : évaluer le risque de contamination du reblochon
Un autre projet a débuté en octobre dernier pour trois ans. Il concerne le risque de contamination du reblochon par la bactérie Brucella melitensis, responsable de la brucellose humaine. « Pour l’instant, nous n’avons pas la preuve que la bactérie peut persister dans le fromage, explique Luca Freddi, chargé de projet dans l’unité Zoonoses bactériennes du Laboratoire de santé animale de l’Anses. Nous savons que le lait peut être contaminé mais nous n’avons pas réussi à détecter Brucella melitensis dans le reblochon. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas présente et qu’il n’y a pas de risque de contamination. Une très faible quantité de Brucella suffit pour être malade et on sait que si elle est présente ce sera difficile de la trouver parmi la multitude de bactéries contenues dans un fromage ! » Lorsqu’un foyer de brucellose a été déclaré dans un élevage de bovins en Haute-Savoie en 2021, plus de 5 500 tonnes de reblochon avaient dû être rappelées par mesure de sécurité. Le reblochon présente plusieurs caractéristiques qui pourraient favoriser la survie de la bactérie : il est fabriqué avec du lait cru, son temps d’affinage est relativement court et les conditions d’acidité et de température pendant sa fabrication ne garantissent pas l’élimination du microorganisme. L’enjeu du projet est donc de savoir si le risque de contamination est réel et, si c’est le cas, de développer un test capable de détecter la bactérie dans le reblochon.
Des conditions de laboratoire hautement sécurisées
Pour connaître les risques de contamination et pouvoir faire des recommandations pour les éviter, les deux équipes de recherche vont fabriquer du fromage à partir de lait artificiellement contaminé. Elles se heurtent à une même difficulté : comme les microorganismes sont transmissibles à l’être humain, la fabrication des fromages doit se faire dans des laboratoires confinés répondant aux normes de biosécurité de niveau P3. « Ces conditions ne sont pas comparables aux ateliers où sont fabriqués habituellement les fromages, décrit Sandrine Lacour, il a fallu s’adapter. » La scientifique a commencé à fabriquer du fromage de chèvre à partir de lait non contaminé pour tester les conditions de préparation. « Par exemple, je travaille sous un poste de sécurité ventilé avec une petite ouverture de 20 centimètres. Il y a la place pour passer les bras mais la marmite dans laquelle est fait le fromage ne rentre pas ! Il faut donc démonter le poste pour mettre tous les ustensiles. », raconte-t-elle. Comme la salle accueille d’autres travaux de microbiologie, il ne sera pas non plus possible d’affiner le fromage avec des levures, pour ne pas contaminer les autres manipulations. « Je vais faire du fromage avec seulement des ferments lactiques, mais cela permettra déjà de tester plusieurs hypothèses. »
Concernant le reblochon, pas question de modifier le processus de fabrication pour les besoins de l’expérience : l’appellation « reblochon » repose sur une recette bien précise. Un important travail de préparation est donc prévu pour identifier les étapes les plus à risque de propager la bactérie Brucella au sein du laboratoire et trouver des solutions pour empêcher une telle propagation. « Nous savons déjà que le brassage et le chauffage du lait seront deux étapes critiques où la bactérie risque de se retrouver dans l’air. Il faudra aussi prévenir tout risque de renversement, de rupture d’étanchéité ou encore l’élimination des déchets », détaille Claire Ponsart, cheffe de l’unité Zoonoses bactériennes. Pour ce projet, les scientifiques travaillent avec le centre d'expertise agroalimentaire Actalia, qui va concevoir un équipement dédié, une sorte de « casserole à étages » dans laquelle la fabrication de reblochons de taille réduite pourra être réalisée en toute sécurité.